‘ADMA

ADLANE SAMLET - du 13 mars 2025 au 12 avril 2025

Dans le premier geste se décide quelque chose qui n’a pas encore de forme. C’est une couleur, une énergie, une façon de frotter, de taper, de presser, de frôler. Ce sont des sentiments bruts. Le terme est important. Adlane Samet n’a pas de plan lorsqu’il entame une peinture. Il détermine le format et la technique, fusain ou acrylique, qui va à son tour induire des sujets, des figures, quelque chose d’une dramaturgie. Les petits formats sont plus propices aux portraits et lui permettent de décliner une galerie de créatures dont on identifie, démesurées, les cornes et les dents, les yeux et les mains.

Dans les fusains Fragile, où chaque trait se superpose, où la densité des noirs traduit un fourmillement d’idées, on reconnaît quelque chose de la figure du minotaure, de l’hybride à la fois homme et animal. Mais à rebours de la façon dont Picasso le traitait, tout en force et en brutalité, on reconnaît un cri, une douleur. L’inquiétude ne vient pas tant du monstre lui-même que de ce qui le traverse et l’agite. Borges dans sa nouvelle La Demeure d’Astérion renverse la perception que l’on a du mythe et nous amène à voir au-delà du minotaure où réside le monstrueux, la violence.

Adlane Samet a grandi en Algérie dans les années 1990 et la violence dont il a pu être témoin dans ces années noires résonne dans son œuvre. Les scènes qu’il orchestre dans ses tableaux sur toiles portent des titres évocateurs comme La Tragédie, Le Cycle des convoitises, Le marionnettiste fou. Il n’est pas impossible d’y voir des interprétations de l’histoire ou de l’actualité. Le symbolisme généreux renvoie aussi bien à Goya qu’à Bosch et à une certaine tradition de la représentation de la folie du monde comme il va. L’artiste parle volontiers d’une forme de fatalisme au sujet d’un tableau comme Une nuit pas comme les autres où une figure sur un toboggan qui le conduit à l’abîme semble ne pouvoir échapper à son destin. Peindre relève d’une forme d’exorcisme ; d’une façon de se relever malgré tout, de reprendre la main. Une main si présente est expressive dans ses œuvres.

D’une certaine manière, on pourrait avancer qu’Adlane Samet peint à l’os. Différentes parties du squelette de ses figures apparaissent sous la couleur comme une chair rendue à vif. L’os, ‘Adma, qui donne son titre à l’exposition devient une forme de signature et d’affirmation de soi après avoir été longtemps utilisé comme un surnom insultant. L’os auquel s’accroche la figure dans Admane manifeste une façon de revenir à l’essentiel, de se débarrasser du superflu ou de la sur-intellectualisation. Dans ses images, il n’y a jamais que des gestes simples à même de s’inscrire durablement dans la mémoire, il s’agit de prendre, de donner de se saisir et d’être saisi… Adlane Samet en cela travaille sans le revendiquer à une forme de mythologie, un ensemble de figures qui nous hantent jour et nuit pour nous permettre d’expliquer le monde et le mettre à distance.

HENRI GUETTE

CHEMSEDINE HERRICHE - from March 13th to April 12th 2025

In the first gesture, something is decided that has no shape yet. It’s a color, an energy, a way of rubbing, tapping, pressing, brushing. These are raw emotions. The term is important. Adlane Samet has no plan when he starts a painting. He determines the format and the technique, charcoal or acrylic, which in turn will give rise to subjects, figures, something of a dramaturgy. The small formats are more suited to portraits and allow him to create a gallery of creatures, with their horns and teeth, eyes and hands, all exaggerated and easily identifiable.

In the charcoal drawings Fragile, where each line overlaps and the density of the blacks conveys a buzzing of ideas, one can recognize something of the figure of the Minotaur, the hybrid of man and animal. But in contrast to how Picasso treated it, full of force and brutality, what we recognize here is a cry, a pain. The unease comes not so much from the monster itself, but from what moves through and stirs it. In his short story The House ofAsterion, Borges reverses our perception of the myth and leads us to see beyond the Minotaur, where the monstrous and the violent reside.

Adlane Samet grew up in Algeria during the 1990s, and the violence he witnessed during those dark years resonates in his work. The scenes he orchestrates in his canvas paintings bear evocative titles such as The Tragedy, The Cycle of Greed, The Mad Puppeteer. It is not unlikely to see interpretations of history or current events in them. The rich symbolism also recalls Goya, Bosch, and a certain tradition of depicting the madness of the world as it goes. The artist willingly speaks of a form of fatalism regarding a painting like A Night Like No Other, where a figure on a slide leading to the abyss seems unable to escape its fate. Painting is a form of exorcism; a way of rising again despite everything, of taking control. A hand so present is expressive in his works.

In a way, one could say that Adlane Samet paints down to the bone. Different parts of the skeleton of his figures appear beneath the color, like flesh laid bare. The bone, ‘Adma, which gives its name to the exhibition, becomes a form of signature and self-affirmation after having long been used as an insulting nickname. The bone to which the figure clings in Admane represents a way of returning to the essentials, of shedding the superfluous or over-intellectualization. In his images, there are always only simple gestures capable of leaving a lasting mark in memory; it’s about taking, giving, grabbing, and being grabbed... In this, Adlane Samet works, without claiming it, towards a form of mythology, a set of figures that haunt us day and night, allowing us to explain the world and put it at a distance.

HENRI GUETTE